La fiscalité climat-énergie mérite un débat public honnête
Le dernier rapport du GIEC nous rappelle, une nouvelle fois, qu’il y a urgence à agir et qu’à +1,5°C ou à +2°C le monde dans lequel nous vivons ne sera pas le même. L’Accord de Paris nous engage à agir. Les Marches pour le Climat, les clips, les tribunes et les pétitions se multiplient pour rappeler l’urgence et les dangers du péril climatique. On serait donc tous d’accord sur le fait d’agir vite, d’agir nous-mêmes, d’agir au quotidien ?
L’actuel débat sur la hausse des prix du carburant et la fiscalité écologique nous rappelle malheureusement la triste réalité d’un certain discours politique. Ce discours étrange qui consiste parfois à signer une pétition « pour la planète » le matin, rappeler « l’urgence à agir pour le climat » l’après-midi et critiquer le « matraquage fiscal » de la fiscalité écologique le soir. Sans sourciller, sans même y voir une forme d’incohérence lâche ou d’hypocrisie irresponsable.
Dans ce débat, l’ancien ministre et actuel directeur exécutif de WWF, Pascal Canfin, a raison de rappeler deux faits : la montée en puissance de la « taxe carbone » avait été votée avec la loi Royal sur la transition énergétique en 2015 et aussi qu’à ce jour « la fiscalité antipollution compte pour moins de 5 % des prélèvements obligatoires, soit moins que chez nos voisins néerlandais, belges, suédois, espagnols, britanniques, italiens… » Donc, heureusement, certains essaient d’élever le débat et rappellent également la réalité d’une hausse des carburants principalement liée à la hausse du prix du baril de pétrole (75%) et non des taxes. Cela montre aussi l’importance de souligner les engagements des uns et des autres et surtout, face à l’opinion variable de certains, de tenir le cap d’une fiscalité écologique ambitieuse.
La première chose à noter donc, et on ne l’entend pourtant pas assez : le problème des carburants chers, c’est d’abord un problème de pétrole cher. C’est-à-dire un problème de dépendance de nos modes de vie à une énergie que nous ne produisons presque pas sur notre sol, que nous achetons à l’étranger, qui produit du CO2 et dégrade notre balance commerciale. Pour certains, il est pourtant toujours difficile à dire que, pour faire face à la montée des prix du pétrole, il faudra changer nos habitudes et, par exemple, inverser la dynamique de l’étalement urbain et de l’allongement des trajets individuels. Car le vrai enjeu est la libération de la dépendance au pétrole, et si cette dépendance ne peut se réduire sans accompagnement (comme la prime à la conversion ou le chère énergie), elle ne pourra pas non plus s’inscrire dans la durée sans augmentation progressive de la fiscalité écologique qui touche le carbone.
Car oui, pour réussir notre nécessaire transition énergétique et lutter contre le changement climatique, il est indispensable de disposer d’une fiscalité écologique à la hauteur des enjeux. Et ce constat ne date pas d’hier. En 2007, le Pacte écologique de Nicolas Hulot, signé notamment par Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, plaçait au coeur de ses cinq propositions concrètes la nécessité d' »instaurer une taxe-carbone en croissance régulière ». En 2009, un compromis a été trouvé autour du mécanisme de la “contribution climat-énergie” (CCE) grâce au rapport de la conférence des experts et de la table ronde sur la contribution climat et énergie présidée par Michel Rocard. Ce rapport proposait notamment d’instaurer une trajectoire de la CCE pour atteindre un « prix carbone » de 100 €/t CO2 en 2030. Le grand climatologue français Jean Jouzel plaidait aussi, dans ce cadre, en faveur de la fiscalité carbone pour lutter contre le changement climatique. Pas étonnant donc que cette proposition soit reprise par plusieurs ONG de protection de la nature et de l’environnement, ainsi que par les différents candidats écologistes dans leurs programmes. Tout comme la suppression des niches fiscales anti-environnementales et de la principale d’entre-elles : la niche diesel, qui représentait 7 milliards d’euros.
Après deux échecs, en 2000 et 2010, c’est donc la majorité PS-EELV qui a voté, dans le cadre du budget pour 2014, la création d’une « composante carbone », puis le rattrapage progressif de la fiscalité diesel-essence. A cela s’ajoutera une autre innovation budgétaire importante : l’affectation d’une partie des recettes au Compte d’affectation spécial « Transition énergétique » qui vise notamment à financer les énergies renouvelables. La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte a fixé une cible à long terme avec un taux défini à 100€/tCO2 en 2030, et, pour répondre à l’urgence et donner plus de visibilité aux acteurs, la nouvelle majorité a accéléré la trajectoire dans le budget pour 2018 sur la période 2018-2022. De 44,6 euros par tonne de CO2 en 2018, la composante carbone atteindra donc 86,2 euros par tonne de CO2 en 2022.
Cette composante fait partie de la TICPE (taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques), la recette brute globale de la TICPE va donc passer de 33,8 milliards en 2018 à 37,7 milliards en 2019. Où va l’argent ? Pour 2019, 12,3 milliards aux collectivités territoriales, 7,2 milliards sont affectés au Compte d’affectation spécial « Transition énergétique » 1,2 milliards à l’AFITF (financement des infrastructures de transports), et 17 milliards, et donc moins de 50%, au budget général de l’État. Par ailleurs, ce budget de l’État voit l’augmentation (pour la deuxième année consécutive après des années de baisse) des crédits de la mission Écologie, mais aussi finance la prime à la conversion, l’augmentation du chèque-énergie, le crédit d’impôt transition énergétique (CITE) etc. D’ailleurs, plus de 34 milliards de ce budget financent le ministère de la transition écologique et solidaire, ses opérateurs et ses actions. De plus, le budget pour 2019 supprime une importante niche anti-environnementale : le tarif réduit de TICPE sur le gazole non routier.
Le but de cette fiscalité n’est ni de culpabiliser ni de punir, mais bien de conduire la transition vers un modèle plus soutenable, cette transition ne pouvant se faire sans accompagnement et incitation. Car dans les faits, il y a aussi celles et ceux qui ne peuvent effectivement pas faire autrement. C’est ceux là qu’il faut aider. Mais en commençant par admettre – et assumer, si impopulaire que cela soit a priori – qu’aider « ceux qui en ont vraiment besoin », ce n’est pas aider « tout le monde ». Il y a des usages de la voiture qu’il n’est pas possible de réduire, en tout cas pas dans les conditions d’aujourd’hui, c’est évident. Raison pour laquelle ceux qui sont concernés doivent être la cible prioritaire de l’attention de l’État. C’est déjà beaucoup. Mais raison de plus, aussi, pour encourager la réduction de tous les autres usages, qui peuvent l’être.
Ainsi, la prime à la conversion sera doublée pour les 20% de ménages les plus modestes et les personnes non imposables qui font chaque jour 60 km pour aller travailler. Pour ses bénéficiaires, elle atteindra jusqu’à 4000€ pour un véhicule essence ou diesel et 5000€ pour un véhicule électrique ou hybride, neuf ou d’occasion. Par ailleurs, le chèque énergie sera renforcé et étendu pour bénéficier à près de 6 millions de ménages en 2019. Ces mesures ont un coût, en 2019 c’est donc plus d’un milliard d’euros qui seront consacrés à l’accompagnement des Français dans la transition écologique. Par ailleurs, les ménages ne sont pas les seuls à contribuer, les industries sont aussi concernées et la récente réforme du système d’échange de quotas d’émissions (ETS) a déjà fait monter les prix du carbone, de 4,38€ la tonne en mai 2017 à plus de 18€ en août 2018.
L’autre débat qui a émergé est celui sur l’affectation des recettes de la fiscalité écologique. Faut-il est affecter la totalité, une part ou rien du tout ? Tout d’abord, c’est un débat entre économistes qui n’a jamais été pleinement tranché. Et ce pour une raison très simple : cette fiscalité visant à réduire la dépendance au pétrole et donc sa consommation, sa recette doit d’abord augmenter puis décroitre. En affectant la totalité à des politiques écologiques il existe donc un risque, à long terme, de manquer de financement. A ce sujet, Christian de Perthuis, spécialiste de la fiscalité écologique qui a fondé la Chaire Économie du Climat à l’université Paris-Dauphine, rappelle à juste titre que “l’impôt vert ne se définit pas par son usage mais par son assiette”.
Par ailleurs, comme le note Stéphane Hallegatte, économiste au CIRED “il ne faudra pas négliger ce que les taxes environnementales peuvent apporter : taxer l’énergie, c’est taxer moins le travail. C’est donc favoriser une économie plus efficace en terme énergétique et plus créatrice d’emplois.” Or, sauf à souhaiter une augmentation générale des impôts en France, cela nécessite forcément l’affectation d’une part de la recette au budget général de l’État pour permettre de financer les budgets de l’éducation, de la justice, de la culture… En termes clairs, un “basculement” de fiscalité. Serait-ce si négatif qu’une part des taxes sur la pollution finance des services publics ?
La nécessaire transition énergétique n’est donc pas une affaire simple, et pourtant elle est urgente. Lorsqu’elle concerne directement la majorité d’entre nous, elle devient encore plus complexe que lorsque les impacts sont lointains et les slogans faciles. Pourtant, il est urgent de la mener et de l’assumer. Sa réussite nécessite même une forme d’”union sacrée” entre majorité et opposition, et surtout d’une hauteur de vue au lieu du débat déplorable auquel nous assistons. L’urgence est bien là, “beds are burning”.